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Journal | House, d’Ôbayashi

mardi 25 juin 2024, par LR

 
House
House

House, film de Nobuhiko Ôbayashi, 1977, 2023 en France

Première couche.
House se classe dans la catégorie des films d’horreur (au chausse-pied et avec un peu de vaseline merci). Sept lycéennes tout droit sorties d’un manga se retrouvent dans une maison hantée qui cherche à les dévorer. Sur le papier on sort pas trop du classique. Sauf que... (ça je vous laisse le découvrir).
Sorte d’Alice aux pays des merveilles (encore plus) sous acide, sa réputation de film à consommer en cas d’indisponibilité provisoire de votre fournisseur préféré de substances illicites n’est pas usurpée. Un film foutraque et coloré aux effets improbables au point que l’on se demande s’il s’agit d’une parodie, ou carrément d’une farce. Une farce qui s’incarne dans la connivence qu’elle crée avec le public et qui fait qu’on s’accroche. Peut-être devenons-nous même hantés par ce film qui nous dévore en nous regardant droit dans les yeux. C’est absurde, délirant et jouissif. Amusez-vous bien.

Deuxième couche.
Sauf que tous les films d’horreur parlent d’un traumatisme social. S’agirait-il ici de transformer le traumatisme en farce ?
Au-delà du vernis je ne peux en effet m’empêcher d’y voir une réaction à l’américanisation post-guerre mondiale et à un sentiment de perte de l’identité japonaise.
Le film nous rappelle en effet que les défunts survivent tant que ceux qui les ont aimés pensent à eux. Or cette volonté du souvenir ne semble s’exprimer que chez la tante, qui a choisi d’attendre son fiancé à jamais disparu, et chez le chat, incarnation peut-être des kamis ou yōkai d’autres temps, leurs yeux s’éclairant alors de deux scintillements d’une belle fluorescence vert-uranium, quand tous les autres ne rêvent que d’oublier cette période ; une envie d’oublier que la période post-Covid nous permet peut-être de toucher du doigt. Une opposition aussi entre la jeune génération insouciante des années 70, et celle de ses parents, qui referme difficilement les blessures de cette guerre que nombre d’entre eux ont vécu enfants.
Opposition entre ressassement du cauchemar et le rêve plus ou moins crédible qui devient norme à atteindre. Et le rêve de ce moment-là est américain, un ready-made industriel de la société de consommation qui répond à des archétypes anglicisés renvoyant à leur tour à la façon dont la société japonaise semble être perçue par le reste du monde (i.-e. les USA) (ou alors à la façon dont les canons de la société occidentale semblent perçus et intégrés par la société japonaise qui souhaite y répondre pour mieux pouvoir y participer ?) : les pucelles habillées ras-duc et monocaractérisées : Mach (pour stomach, terme anglais) l’insatiable, Fanta (-sy ? -sia, comme un certain film d’animation du petit studio indépendant à la souris ?, je n’évoquerai même pas la marque de la CCCompany) la rêveuse, Melody la musicienne, Sweet, Kung-Fu... parmi les jeunes filles seules Binocles et Belle [1] portent un nom à consonance japonaise (si mes oreilles ne m’ont pas trompées).
Je me demande s’il n’est pas aussi question de l’appropriation maladroite des codes du cinéma occidental (étatsunien en particulier), et inversement. Le personnage de Kung-Fu en évoquerait alors le genre (exploité principalement à Hong-Kong), associé sous nos latitudes à Bruce Lee (étant lui né à San Francisco et élevé à Hong-Kong d’une famille d’origine chinoise), taclant donc au passage un curieux melting-pot façon « ça vient de par-là (faire un geste assez large) c’est tout pareil ». Merci tonton(s) Sam (et Roger).
Dans une vision élargie, la farce semble en tout cas épingler ce qui fait la quintessence d’un succès commercial de l’époque : vulgaire, prémâché et clinquant, le spectacle industrialisé qui n’envoie que de la poudre aux yeux. L’industrie sans âme c’est pas bien, on est d’accord là-dessus (d’autant plus peut-être quand on vit dans les années 2020).
Cependant, la maison est un monstre cannibale... faut-il alors assimiler le Japon traditionnel à un monstre ? À moins qu’il faille y voir une mise en garde, que le passé ne dévore pas la jeunesse et la pulsion de vie, quand on pense qu’aujourd’hui encore, presque 80 ans après la fin de cette guerre, elle ne cesse d’être présente à nos esprits, en France notamment mais pas seulement, solidement accrochée à nous comme un stigmate que nous entretenons soigneusement et qui ne nous empêche cependant pas de perpétr-uer l’horreur aux quatre coins du monde (et même d’invoquer le monstre à domicile). Alors à quoi sert donc la mémoire.

Loin d’être spécialiste de la culture japonaise je partage juste ces perceptions à brûle-pourpoint, mais toute autre interprétation, réflexion ou précision sera bien évidemment bienvenue dans l’espace de discussion ! ;)

Attention spoiler : j’ai beaucoup aimé. Pour une plus grande satisfaction de l’expérience, le regarder en mangeant des trucs qui font du bruit quand on les croque : chips, pop-corn, pizza trop cuite (mais tout de même dégoulinante de fromage, faut quand même pas déconner), noisettes enrobées de chocolat, votre visionnage n’en sera que meilleur ! Je tiens à préciser par ailleurs que la version DVD de Potemkine embarque deux entretiens fort sympathiques et intéressants.

Enfin (non, mais vous ne croyiez pas vous en sortir comme ça ?), le plus marrant pour terminer c’est l’origine de ce film, que l’on doit à une demande de la Toho à Obayashi de faire le « Dents de la mer japonais ». Après visionnage, il tiendrait plus à mes yeux du « Shinning » [2]... trois ans avant sa sortie... Amusant non ?

 


Voir en ligne : House (Hausu) sur SensCritique


[1Avis aux spécialistes de la culture japonaise : y aurait-il un lien avec La Belle et la Bête, motif retrouvé par ailleurs dans le Belle de Mamoru Hosoda ?

[2au niveau du fond, pas dans celui de la recherche esthétique, les deux étant pensées mais à peu près à l’opposé l’une de l’autre (quoique la vague de l’ascenseur aurait presque un petit côté Hokusai, non ? oui la sortie c’est par là, j’ai vu merci...)

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